Compagnie
ContaCordes
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A propos de 3 Petites Porcelettes
LA FORME
Pour raconter cette histoire, vieille comme le monde, neuve comme celui-ci dans les yeux des petits, une conteuse, Claire Heuwekemeijer, une accordéoniste, Larisa Strelnikova, racontent, jouent, disent, chantent, dansent, empruntent au théâtre d’objets, au masque, à la pantomime, passent du très grand au tout petit, du particulier à l’universel.
Pour les accompagner dans cette aventure, Philippe Campiche, explorateur du cœur et des mots, conteur, poète et joueur. Dorothea Christ pour un coaching vocal, et Claire Graf pour affiner la musique des mouvements.
Pour tout dire, et bien plus encore, une fois de plus, la Compagnie ContaCordes racontera en musique : si les mots parviennent à décrire, la musique fait ressentir, elle donne leur couleur, leur texture aux émotions ; et en particulier dans ce spectacle qui s’adresse à des enfants qui apprivoisent encore le langage, elle sait parler au cœur. Elle donne à entendre ce rythme inhérent aux contes. En l’occurrence, sous les doigts de Larisa Strelnikova, ce sera l’accordéon, « ce monstre qui souffle », qui se fera porteur de cette langue-là, et au gré des images visuelles, il saura aussi se faire castelet, souffleur, ou ventre énorme. Parfois aussi les voix des artistes chanteront, des airs pour se rassurer, se donner du courage, ou juste dire autrement qu’avec les mots. De Bach à Gubaidulina, Semïonov, Piazzolla, sans oublier Mozart, des compositeurs classiques et contemporains ont tenté à leur manière de faire sentir tout ce qui ne se dit pas. Avec cette histoire comme fil rouge, nous ferons aussi résonner leurs voix, et donnerons à (re)découvrir un patrimoine musical vaste, et de toute beauté.
LE FOND
A sa création, il y a déjà presque vingt ans, les artistes de la Compagnie ContaCordes - conteuse, pianiste, violoniste, et toutes au féminin - apprenaient que dans la littérature jeunesse, 90% des héros sont masculins ; la proportion augmente encore quand les héros ne sont pas humains : chez les animaux, les monstres et les superhéros, comme dans la grammaire française, c’est toujours le masculin qui fait office de neutre. Soucieuses d’offrir à leurs auditrices des représentations auxquelles celles-ci puissent aussi s’identifier, et à leurs auditeurs des représentations auxquels ils n’auraient sinon peut-être pas accès, nous avons eu à cœur de donner aussi souvent que possible les premiers rôles à des héroïnes – sans pour autant tronquer les contes traditionnels.
Vingt ans plus tard, heureusement, cette proportion progresse – mais nous sommes encore loin d’une équité en la matière. La Compagnie ContaCordes, à laquelle entre temps se sont jointes une harpiste, une violoncelliste, une accordéoniste, continue donc de donner une visibilité particulière aux personnages féminins.
Si, dans la version la plus connue du conte, les trois petits cochons sont des garçons, il n’y a là aucune raison symbolique : dans les plus anciennes versions, c’est une truie qui tenait le rôle principal, face au loup. Les trois petits cochons, comme les sept petits chevreaux, sont d’abord une facilité lexicale.
Mais leur mission est universelle : grandir, quitter ses parents, fonder sa propre maison. Sans prétendre susciter de nombreuses vocations de maçonnes, nous aimerions encourager aussi les filles comme les garçons à se rêver un jour libres, indépendantes et entreprenantes.
Sous son apparence légère, comme souvent, le conte convoque des symboles forts : le cochon, ce n’est pas seulement l’animal domestique et propret dessiné par Walt Disney. C’est aussi celui qui, malgré une ressemblance troublante avec l’humain (il a comme nous la peau rose et presque glabre, il est comme nous omnivore…), se roule dans la fange, grogne et couine, et dévore n’importe quoi, n’importe comment.
Quant au loup, sa réputation le précède. Face au porc domestique, il incarne la sauvagerie, la force indomptable, la liberté aussi. Si sa voracité n’égale peut-être pas la sienne, sa faim par contre est immense. Il émerge de l’ombre, il voit dans la nuit. Celui-ci est solitaire. Il vit à l’écart des hommes, mais il connaît leur mode de vie et sait en tirer parti. Il est à l’affût, et ne s’embarrasse pas de bons sentiments. Seule sa survie dicte ses actions.
Depuis la petite enfance, nous avons en nous un loup et un cochon. Parfois en nous, le loup hurle, et aspire à tout manger, tout détruire. Parfois, le cochon aimerait se défaire de son vernis civilisé, et retrouver la boue, si douce. Parfois on se sent presque nu, sans défense, parfois nous brûlons de colère. A trois ans, on vit les extrêmes avec force, on passe d’une sensation à l’autre, on ne fait pas « la part des choses ». Dans Trois Petites Truies, les artistes incarneront l’un et l’autre, joueront à faire semblant, quitte à échanger leurs rôles si elles en ont assez d’être toujours le loup ou le cochon.
Les trois héroïnes de ce conte font aussi l’expérience du temps : celui qu’il faut pour venir au monde, pour grandir, mais aussi pour construire une maison. Au « Tout, tout de suite » du petit enfant – et de notre société de consommation -, l’histoire suggère qu’il faut du temps, (et du soin, et de la confiance) pour que, brique après brique, émerge une maison qui puisse nous accueillir et nous protéger. A travers des images poétiques et musicales, nous convoquerons aussi tout ce qui, dans la nature, fait preuve de patience et de foi : la fourmi qui construit sa fourmilière, le ver qui creuse ses galeries, l’oiseau qui bâtit un nid de plumes, de feuilles, de brindilles.
A trois ans, comme les trois petites truies, on est prêt à conquérir le monde ; mais au moment de s’y risquer pour de bon, on est un peu pris de vertige. Quand vient la séparation, face à la peur du loup, il faudra rassembler bien des forces pour rester debout, hors de sa zone de confort. Il fait bon n’être pas seul dans ces moments-là. Nous ne serons pas de trop – la Compagnie, les enfants, les adultes qui les accompagneront – pour réaliser ensemble ce voyage.